Le sloughi par AP Durell

Est un splendide animal à l‘allure fière et racée, à l’expression hautaine et nostalgique, aux poses héraldiques et nonchalantes. Il représente l’une des plus vieilles races de chiens qui soient au monde et a perpétué, à travers les siècles, une intégrale pureté de sang jalousement entretenue dans l’intégrale pureté des lignes, par son maître naturel l’Arabe, traditionaliste par essence.

Lévrier arabe, le Sloughi est le chien du nomade par excellence que l’on rencontre à travers toute l’Afrique du Nord. C’est le favori des Fils de Grande Tente qui en usent à la fois pour le plaisir et l’utilité, dans la chasse au lièvre, au chacal, au renard, à la gazelle, voire même au mouflon ou au sanglier. Il se révèle également, autant par instinct que sous les nécessités de sa rude existence, redoutable chien de garde et, toujours, chien de combat aussi courageux qu’avisé.
C’est chez les Grands Nomades de la zone saharienne que vivent et prospèrent les meilleurs élevages de Sloughis, c’est là que se reconnaissent les sujets les plus purs, les plus typiques et les plus brillants en un mot, les plus complets. A cet égard, qu’il soit permis de citer ici l’avis éminemment instructif d’un vieux Saharien le capitaine interprète COGET, qui possède une parfaite connaissance et une longue pratique du Sloughi dans son pays même. Voici comment il en traite, par quelques évocations d’une longue expérience personnelle, en termes qui ont l’heur de présenter et à la fois de situer le Sloughi dans son véritable cadre:
Arrad”, fiis de “Djenah”et de “Richa”. Tous de même robe bringée et originaires de la grande tribu nomade des Doui-Menià, du Sud algéro-marocain (Hainada du Tafilalet) a été le dernier du lot de Sloughis que je m’étais constitué pour chasser la gazelle, le chacal, le renard et le lièvre, dans les steppes du Sud (chasse à cheval bien entendu). On trouve également de très bons et très beaux Sloughis dans toutes les tribus nomades du Sud algéro-marocain, en général Oulad Sidi-Chcikh, Oulad Djerir, Béni-Guil, Oulad Nacer, etc..

Le Sloughi n’est heureux que dans le Sud, en pleine liberté, comme son maître le nomade.

J’aime beaucoup cet animal et, étant nomade moi-même, j’étais toujours suivi de très beaux spécimens de cette race de lévriers. Ils m’ont donné dans le Sud de grandes satisfactions et m’ont fait vivre de belles journées de chasse mais de cette grande chasse à courre spéciale qu’on ne peut pratiquer que dans le Sud.

L’Arabe tient le Sloughi en haute estime. C’est un aristocrate apanage des aristocrates. Pour l’Arabe qui méprise le chien en général, le “kelb” vulgaire, le Sloughi est un animal noble, supérieur, à part, au même titre et sur le même rang que le cheval. Si l’on montre un Sloughi à un arabe de bonne naissance et ayant équipage de chasse, en lui disant: “Quel beau chien”, il répondra invariablement et sur un ton convaincu “Aada machi Kelh aada Sloughi’’ (Ce n’est pas un chien; c’est un Sloughi). Admirable distinguo.

Toute la puissance de tradition dont l’Arabe est capable, appliquée depuis un temps immémorial à l’élevage du Sloughi et à sa sévère sélection a permis de conserver intacte cette race si séduisante et si caractéristique, au point d’en faire de nos jours la plus légitime et la plus immuable incarnation de la famille des Graïoïdes.
Pour avoir une idée de la rigueur des principes de l’élevage indigène, il ne suffit pas de considérer que le possesseur d’une lice de choix n’hésitera pas à parcourir, à cheval ouà méhari des centaines de kilomètres en plein désert pour l’allier à un étalon célèbre par sa beauté et sa valeur en chasse; mais encore convient- il de connaître le dur exemple donné par le sage Caïd Ben Diff, dans la région de Bou-Saâda, il y a quelques lustres.

A cette époque, le vieux caïd, aujourd’hui disparu, possédait une Sloughia de toute beauté, qu’il préférait à tous les autres sujets de sa meute pour l’élégance de ses lignes, la splendeur de ses allures et sa sureté de prise. Un jour, il s’aperçut que la chienne était pleine sans qu’il ait donné d’ordres pour la faire saillir. Il convoqua sur le champ son chef d’équipage pour lui demander des explications au sujet de cet accouplement imprévu avec un étalon ignoré. L’autre ne put répondre que par un “ma naarf” (je ne sais pas) embarrassé. Le Caïd commanda aussitôt qu’on lui amena la chienne, et sans un mot, il l’abattit de sa propre main d’un coup de revolver. A ses yeux, et selon la tradition, la chienne devait mourir parce que souillée et à jamais imprégnée par une fécondation impure.
Sur le chapitre du caractère, il traîne, de par le monde, une légende erronée et injuste qui représente les lévriers, et par conséquent les Sloughis, comme des chiens inintelligents, insensibles et peu sociables. Cette légende, comme tant d’autres, est basée sur un manque de saine observation, un défaut de compréhension, et une interprétation simpliste et fausse d’apparences superficielles. En un mot, elle est basée sur l’ignorance.
Le Sloughi est un chien fier, mais infiniment sensible, qui connaît le prix du dévouement, de l’attachement, de la fidélité. II est capable de pousser ces sentiments à l’extrême, et par cela même, se refuse à les galvauder, les réservant jalousement à qui il estime les devoir consacrer.
Ce chien d’apparence détachée, au regard profond et mystérieux, cache une sensibilité éclectique et exclusive dont il ne franchit jamais les limites par lui- même assignées. Lui aussi à ses règles et ses traditions ataviques qu’il se garde de violer.

Par P.A. Durell de la Revue Mensuelle Nord-Africaine de mai 1942